Projet de décor pour la maison antique de Catherine II de Russie
Encadrée par des frises de rinceaux et des médaillons représentant des scènes antiques, des ruines animée sont représentées au centre de cette feuille d’étude. La plinthe du mur qui devait recevoir le décor est représentée, complétée par quelques moulures, donnant une idée de l’échelle monumentale prévue pour ce projet.
Élève de Blondel et de Boffrand à l'Académie Royale d'architecture, Charles-Louis Clérisseau remporte le grand prix de 1746 et séjourne à Rome, comme pensionnaire du roi, de 1749 à 1754. Il y peint des compositions architecturales influencées par le maître du genre : Giovanni Paolo Panini (1691-1765). Il devient l'ami de Piranèse, dont il partage le goût des ruines et la passion de la Rome antique. Alors que le règlement de l’Académie de France à Rome l’autorise à rester deux ou trois ans, le temps de parfaire son éducation artistique, il prolonge sa pension avant de brusquement quitter l’Académie en 1754. Il reste à Rome, effectue des voyages à Venise, à Paestum, pour ne rentrer en France qu’en 1768.
De retour à Paris, il est agréé et reçu dans la même séance à l'Académie royale, le 2 septembre 1769, présentant deux gouaches : des Bains et des Ruines d'architecture. Sa carrière prend un tournant décisif lorsqu'il est choisi par l'administration des Bâtiments du Roi pour exécuter une commande à destination de Catherine II de Russie. Clérisseau est alors recommandé par Falconet, proche de l'impératrice.
Le 2 septembre 1773, Catherine II, inspirée par l’ouvrage de Michel François Dandré Bardon, Collection sur costume des anciens (Paris, 1772)[1], adresse ainsi une lettre à Falconet : « je voudrais avoir le dessin d’une maison antique, distribuée intérieurement à l’antique. […] je veux tout cela ; je vous prie de m’aider à satisfaire cette fantaisie, que je paierai sans doute.[2]». Dans cette lettre, elle demande à Falconet d’écrire à Charmes Cochin, secrétaire de l’Académie Royale de Peinture et de Sculpture, afin qu’il lui fournisse le nom d’un architecte qui pourrait créer une maison dans le style antique dans les jardins de Tsarskoe-Selo. Cochin propose Clérisseau en novembre.
Le 6 décembre, l’impératrice écrit : « j’ai retrouvé la lettre de Cochin que vous m’avez envoyée. Je suis avec lui et vous de l’avis qu’il ne pouvait pas s’adresser mieux pour la maison antique qu’il ne l’a fait ; ce M. Clérisseau paraît avoir toutes les qualités requises pour exécuter à ravir le projet de la maison antique dont j’ai la fantaisie [3]».
Entrainé par le goût du colossal qui le caractérise et faisant écho à ses études romaines de monuments antiques, Clérisseau ne tient aucunement compte du programme transmis par Falconet dans les vingt-quatre dessins qu’il fait parvenir à l’Impératrice. Il transforme le petit caprice commandé par l’Impératrice en un gigantesque palais à l’échelle des Thermes de Caracalla.
Dans une lettre au prince de Galitzine datée de la fin du mois de décembre, Falconet rapporte le mauvais accueil reçu par les dessins de Clérisseau : « Il est démontré que M. Clérisseau est aussi impertinent qu’il feint d’être sourd. Vous avez vu, mon prince, tout ce que j’ai écrit à Paris sur la maison antique et vous savez que la demande de S. M. I. ne contenait autre chose qu’un petit pavillon dans un jardin. Vous avez lu le maudit projet qui n’irait pas moins à construire un palais immense trois fois plus grand que celui de l’impératrice. Il a mis S. M. I. de fort mauvaise humeur, et avec juste raison. [...] S. M. I. ne veut plus rien, absolument rien qui vienne de cette boutique.[4] »
Excepté notre œuvre, plusieurs autres dessins, conservés à l'Ermitage, témoignent du travail effectué par Clérisseau pour la maison antique de Catherine II. L'un d'eux, représentant une niche ornée d'une statue est particulièrement proche de notre dessin par ses multiples panneaux à motifs de candélabres et d'arabesques ainsi que ses médaillons aux scènes antiques. Une vue complète d’un pan de mur reproduit également la même structure sur les panneaux centraux.
Il est également à noter que la vue de ruines représentées sur notre dessin demeure un leitmotiv dans l'œuvre de l'artiste. Deux dessins témoignent du travail de Clérisseau sur ce motif : Un petit dessin à la plume qui semble être une étude préparatoire au grand tableau central de notre projet de décor.
Une grande gouache sur laquelle l’on distingue toutefois quelques modifications est également conservée par le musée de l’Hermitage.
Malgré le refus de son projet russe, Clérisseau mettra à profit ses expérimentations dans un projet plus tardif à destination d'un particulier parisien. Reprenant la même esthétique, il réalise entre 1779 et 1782 le décor intérieur du salon de l'Hôtel Grimod de la Reynière.
Le tampon présent au dos de la feuille semble indiquer que le dessin est passé par la Russie. En effet, en dépit de sa déconvenue avec l’artiste, Catherine II décide de lui acheter son fonds de dessins en 1783. Ces derniers ont été rassemblés par l’artiste dans un même portefeuille en comportant 1120. Il est aujourd’hui difficile de distinguer les vingt- quatre dessins du projet pour Catherine II et de savoir s’ils étaient tous présents dans le fonds vendu à l’Impératrice puisque ce dernier comporte un assemblage de divers projets pour des museums[5]. Tous les dessins de l’Hermitage ont été marqué de l’estampille de Paul Ier, ce qui n’est pas le cas pour ce dessin. Ce dernier n’est donc jamais entré dans les collections de Catherine II. Il aurait été vendu ou donné avant l’achat du fonds par cette dernière
Illustrations :
Charles Louis Clérisseau, Projet de décoration intérieure pour Catherine II de Russie, plume et encre brune, lavis brun et gris sur papier, 35,3 x 30,3 cm. Saint-Pétersbourg, musée de l'Ermitage (Inv. OP-2606).
Charles Louis Clérisseau ; Projet pour la maison antique, élévation intérieure, Hermitage (n° d’inventaire inconnu).
Charles Louis Clérisseau, Intérieur de temple en ruines avec une vasque, plume et encre brune, lavis brun et gris sur papier ; 30,5 x 36,5 cm., collection particulière : vente, Paris, Artcurial, 4 février 2011, n° 46
Charles Louis Clérisseau, Fantaisie architecturale, 1782, gouache, plume et lavis brun, souligné à l'encre de Chine sur papier, 47,1 x 60,5 cm. Saint-Pétersbourg, musée de l’Hermitage (Inv. OP-16919).
Jan Chrystian Kamsetzer, Vue du Grand Salon de l'Hôtel Grimod de La Reynière à Paris, aquarelle sur papier, Bibliothèque de l'Université de Varsovie.
Bibliographie :
[1] Thomas J. McCormick, Charles Louis Clérisseau and the genesis of neo-classicism, 1990.
[2] Louis Réau, Correspondance de Falconet avec Catherine II, 1767-1778, Paris, E. Champion, 1921, p. 217.
[3] Idem, p. 229.
[4] Idem, p. 231.
[5] Chevtchenko, Valerii. Charles-Louis Clérisseau : 1721-1820 : dessins du Musée de l’Ermitage, Saint-Pétersbourg : [exposition, Paris, Musée du Louvre, salle de la Chapelle, 21 septembre - 18 décembre 1995 ; Saint-Petersbourg, Musée de l’Ermitage, 1996. Paris: Réunion des musées nationaux, 1995, p. 73.
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