Sur un fond sobre, une femme âgée représentée de profil lit dans les lignes de la main d’une plus jeune femme tournée de trois quarts. Les deux figures sont vêtues d’un habit contemporain typique des années 1825. Le regard de la cartomancienne est levé vers le visage de sa cliente, tandis que cette dernière baisse ses yeux vers la lecture des lignes de sa main, ce qui oriente l’œil du spectateur vers un triangle avec, au centre, la main pointée de la vieille femme. Le cadrage serré amplifie le sentiment d’être absorbé dans leur conversation.
Ce tableau est cité dans le catalogue raisonné de l’œuvre de Jan Adam Kruseman, sa localisation était alors inconnue[1]. Il a été exposé en 1825 à Haarlem sous le numéro 240 « Een Brabandsche Waarzegster »/ « Une diseuse de bonne aventure brabançonne »[2], lorsque le travail de Jan Adam Kruseman connaît ses premiers succès auprès du public.
Né à Haarlem en 1804 d’une famille bourgeoise originaire d’Allemagne, Kruseman quitte sa ville natale pour Amsterdam en 1819 où il rentre dans l’atelier de son cousin, Cornelis Kruseman, de sept ans son aîné. Il poursuit son apprentissage jusqu’en 1821, date de départ de son cousin pour l’Italie. Il continue alors en autodidacte tout en réalisant ses premières commandes de portraits après avoir remporté un prix chez Felix Meritis.
En 1822, fort de ses premiers succès, il part compléter son apprentissage à Bruxelles auprès des deux plus influents artistes de son temps, François-Joseph Navez (1787-1869) et Jacques-Louis David (1748-1825). Sous la direction de ce dernier, il réalise de nombreux croquis d’étude et de la peinture d’histoire. Navez, quant à lui, exerce une influence classiciste sur son œuvre. Lorsqu’il rentre sous l’enseignement de Navez, ce dernier venait de rentrer d’Italie où il avait découvert la peinture d’Ingres, les nazaréens, dans sa recherche de réconciliation des tensions entre réalisme et idéalisme.
Kruseman réside à Paris au cours de l’année 1824 et son travail commence réellement à émerger auprès du public en 1825 lorsqu’il revient à Amsterdam. Il se marie le 11 mai 1826 avec Alida de Vries (1799-1862) avec laquelle il a cinq fils, deux filles et un fils adoptif, celui de sa sœur d’Alida.
La fin des années 1820 marque l’essor de l’artiste, il fait partie de la Société néerlandaise des Beaux-Arts et des Sciences en 1828, puis il est nommé directeur de la Royal Academy of Art d’Amsterdam.
En 1832, il ouvre son propre atelier et de 1834 à 1836, il effectue plusieurs voyages d’étude en Allemagne, en Angleterre et en Ecosse.
En 1844, il est nommé par le roi Wilhelm II membre de l’Institut Royal néerlandais. Il est également nommé chevalier de l’ordre du lion la même année. C’est un artiste accompli et particulièrement apprécié, comme en témoigne le commentaire accompagnant les œuvres qu’il présente lors du Salon des Artistes Vivants d’Amsterdam en 1841[3] : « J.A. Kruseman, à Amsterdam, a encore fourni quelques-uns de ces portraits qui sont autant de preuves des grands mérites de cet artiste (…) ; ce n’est donc pas sans raison que cet artiste est l’enfant chouchou du public ».
L’artiste entretient des liens avec les membres de la famille royale qui lui commandent des portraits et achètent ses œuvres à l’occasion de ses expositions. Il a notamment réalisé le portrait du roi Wilhelm II.
Il joue un rôle central sur la scène artistique de son époque, il est présent dans toutes les sociétés artistiques et reçoit des dizaines de distinctions tout au long de sa carrière. Il l’avoue lui-même, cela lui prend tellement de temps qu’il regrette ne pas pouvoir être plus présent auprès de sa famille[4].
Après 50 ans de vie familiale plutôt heureuse, les drames s’enchaînent au sein de la famille Kruseman et le peintre finit par succomber des suites d’une maladie le 17 mars 1862. Il est tellement apprécié et intégré dans la société néerlandaise que pas moins de 394 lettres de deuils sont adressées à sa famille.
La diseuse de bonne aventure représente un jalon très intéressant et mal connu de la carrière de Kruseman, les tableaux connus de cette période artistique sont rares. En effet, on peut y voir l’influence de Navez par son cadrage serré et le sujet, mais Kruseman exprime déjà une manière qui fera son succès lors de son retour au Pays-Bas en employant des costumes contemporains et en cherchant dans l’expression une douceur moins marquée par l’expression héroïque recherchée par David et Navez.
Après son retour à Amsterdam en 1825, Kruseman garde contact avec Navez mais il est aussi toujours sous l’influence de David qui se fait grande dans le sud des Pays-Bas. Il cherchait de l’expression dans ses portraits et on peut mettre en rapport l’autoportrait de Navez (1826), de David et de Kruseman (1827) pour leur expression forte : Navez se représente avec une expression héroïque tandis que Kruseman cherche à mettre en valeur un regard amical.
Un détail touchant de ce tableau en témoigne : les yeux baissés de la jeune femme brille à travers ses longs cils et une légère moue se dessine sur son visage.
Illustrations :
François-Joseph Navez, autoportrait, huile sur panneau, 1826, Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique (Inv. 3790).
Jan Adam Kruseman, autoportrait, huile sur toile, 1827, Rijksmuseum (Inv. BR2885)
Références :
[1] Renting Anne-Dirk et al. Jan Adam Kruseman, 1804-1862. Nijmegen: G.J. Thieme, in samenwerking met Stichting Paleis Het Loo Nationaal Museum, 2002, cat. 55.
[2] Levende Meesters, Haarlem, 1825, catalogue n. 240.
[3] Levende Meesters, 1841.
[4] Renting Anne-Dirk et al. Jan Adam Kruseman, op. cit.
You may also like