Jeune romaine en prière, avec un enfant endormi, entourée d’un moine et d’une fillette.
Dans une église, une femme costumée à l’italienne tient un nourrisson entre ses bras. Elle semble lever les yeux vers l’autel tandis qu’un moine et une jeune fille sont en prière derrière elle. La perspective du tableau est ouverte par le riche décor de l’église représenté en arrière-plan, malgré un cadrage serré sur les personnages. La lampe à huile brillant au premier plan complète la mise en scènes tandis que l’expression délicate de la jeune romaine et la touche suave empreignent le tableau d’une ambiance douce et mélancolique.
À la différence de François-Joseph Navez (1788 - 1869) qui, parti à Rome, n’y séjourna que quatre années, quelques rares peintres belges contemporains firent le choix de s’y établir définitivement. C’est le cas de l’Anversois Martin Verstappen (1773 – 1852) et du Gantois Jean-Baptiste-Louis Maes. Si le premier a trouvé sa voie dans le domaine du paysage, le second s’est imposé, dès le milieu des années 1820, comme l’un des peintres les plus demandés à Rome dans le genre populaire de la scène à l’italienne.
Élève à l’Académie des Beaux-Arts de Gand, Jean- Baptiste-Louis Maes fit preuve d’un talent précoce[1]. Il rafle ainsi les prix des concours des écoles des Beaux-Arts auxquels il participe, à Malines en 1810, à Gand en 1817, à Bruxelles en 1818, à Anvers et à Amsterdam en 1819. Élu membre de la Société Royale des Beaux-Arts de Gand en 1820, il se voit accorder par sa ville natale une pension annuelle pour deux années afin de poursuivre sa formation à l’étranger. De Paris où il séjourne en compagnie du paysagiste François Vervloet (1795 - 1872), il concours avec succès au Prix de Rome de l’Académie d’Anvers de 1821. Nanti d’un subside du gouvernement hollandais, il se met rapidement en route pour la Ville éternelle en compagnie de Vervloet. Partis de Paris à la mi-août 1821, les deux artistes arrivent à destination le 16 septembre suivant.
Lorsqu’il entre dans Rome, Jean-Baptiste-Louis Maes est un artiste confirmé qui s’est déjà illustré dans différents genres : la peinture d’Histoire, l’allégorie, le portrait. De nouvelles commandes de tableaux lui parviennent de sa ville natale, dont un grand tableau d’autel : La Sainte Famille avec sainte Anne et saint Joachim pour l’église Saint-Michel (in situ).
Ces marques d’intérêt pour sa peinture enthousiasment le peintre qui ambitionne encore d’être un peintre d’Histoire : « Je viens d’apprendre avec beaucoup de satisfaction que l’église de St. Michel [de Gand] vient de m’ordonner un tableau pour la chapelle de St. Anne. »[2] , écrit-il le 30 juin 1824 à Liévin De Bast, le secrétaire de la Société royale des Beaux-Arts de Gand, « maintenant je me trouve heureux de trouver l’occasion de pouvoir m’occuper entièrement au genre historique ; et je tâcherai de m’en acquitter avec honneur à l’attente générale du public et de mes concitoyens: ici je suis content et heureux me trouvant toujours au milieu des chefs-d’œuvre »[3].
Avec un petit groupe de compatriotes belgo-hollandais, Vervloet et Verstappen déjà cités, Hendrik Voogd (1768 - 1839), Cornelis Kruseman (1797 - 1857), Philippe Van Bree (1786 - 1871), et le sculpteur Mathieu Kessels (1784 - 1836), Maes effectue des excursions dans la campagne romaine, visitant les Monts Albains, Castel Gondolfo, Genzano, Nemi, Palestrina, Zargalo, Fracati, Grottaferrata, des lieux réputés pour la beauté des villageoises et de leurs costumes bigarrés et chatoyants. Il fréquente également les milieux plus cosmopolites. Ainsi, il se retrouve en juillet 1823 au couvent de Santa Scolastica à Subiaco, en compagnie d Vervloet, du mystérieux russe Abasettel, des Français Louis Étienne Watelet (1780 - 1866), Raymond Quinsac Monvoisin (1790 - 1870) et François Antoine Léon Fleury (1804 - 1858). Il côtoie enfin les artistes germaniques.
Stimulé par ses confrères et par l’atmosphère particulière de la cité éternelle, il se tourne de plus en plus vers le genre alors à la mode : la scène à l’italienne. Il annonce à Lièvin de Bast dans sa lettre du 30 juin 1824 : « J’ai l’honneur de vous annoncer que je viens d’expédier au commencement de ce mois trois tableaux ; représentant un St Sébastien, une vieille femme en prières, et le troisième les Pifferari devant une Madone : au commencement du mois prochain j’envoie un autre, dont le sujet est une jeune et belle Vignerola avec un vieillard, groupe de grandeur naturelle ». Ces tableaux figureront au Salon de Gand de 1824.
En 1827, il se marie à Rome avec Anna Maria, fille du graveur Bartolomeo Canini. Dorénavant, il joint le nom de son épouse au sien. De leur union naît un fils, en 1828, Giacomo, peintre comme lui. Maes-Canini demeure aussi un relais utile pour les artistes belgo- hollandais arrivant et séjournant à Rome.
À l’exception de quelques tableaux religieux, tel Le Bon Samaritain de 1825 (fig. 2) qu’il envoie en Belgique, Maes-Canini s’adonne désormais à la seule scène à l’italienne, devenant l’un des spécialistes à Rome de ce genre. Sa réussite est telle qu’en 1834, il dirige un atelier dans lequel il emploie plusieurs jeunes artistes, dont son fils, afin d’honorer ses nombreuses commandes. Doué d’une incontestable maîtrise du dessin et de la technique du modelé par d’adroits effets de lumières, il s’est complu à flatter les goûts de la clientèle cosmopolite de la Ville éternelle avec des représentations quelque peu minaudières du pittoresque peuple romain. Certaines de ses œuvres ne sont pas sans évoquer, sur un mode doucereux, les tableaux de Léopold Robert (La- Chaux-de-Fonds 1794 - Venise 1835) (fig. 7), dont il a sans doute été en relation, ainsi que le suggère Denis Coekelberghs.4 Il a peint des pèlerins, des ermites, des bergers, des contadini, des pifferari et enfin de jeunes et séduisantes Romaines.
Ces dernières ont été son thème de prédilection. Sous ses pinceaux, elles apparaissent le plus souvent de trois quarts, parfois en buste (fig. 3). Il les représente quelques fois dévêtues (fig.6), le plus souvent dans leurs costumes traditionnels chamarrés. Elles sont à leur toilette, se préparent au carnaval annuel sur le Corso (fig. 5 & 8), remplissent d’huile une lampe (fig. 4) etc.. Elles apparaîssent tantôt seules, tantôt accompagnées d’une servante plus âgée qui fait ressortir la fraîcheur et la délicatesse de leur jeunesse. Par le cadrage serré des compositions autour des figures, par l’intensité de clairs-obscurs, certains tableaux de Maes-Canini offrent une variante suave du néo-caravagisme romain du second quart du 19e siècle (fig. 8).
La jeune romaine en prière.
Certains de ses tableaux ont connu le succès. C’est le cas de la jeune Romaine en prière. L’œuvre analysée ici est une des variantes répertoriées d’une même com- position mettant en scène une jeune romaine, en costume de Frascati, priant dans une église, devant une image pieuse. Celle-ci n’est pas représentée dans les tableaux, mais subtilement suggérée, notamment par la lampe en cuivre suspendue devant les autels, comme il en existent beaucoup d’exemplaires à Rome.
L’artiste a décliné le sujet sous deux formes. La première montre la jeune femme, seule, les mains jointes et les coudes posées sur un autel à côté d’un bouquet de fleurs (fig. 9, 12 & 13). L’un des exemplaires porte la date de 1845.
La seconde variante du sujet nous est connu par plu- sieurs tableaux. Cette fois, la jeune Romaine tient un enfant emmailloté et endormi dans les bras (fig. 10 & 11). L’un d’eux porte également la date de 1845.
La particularité de notre version est que la jeune Romaine est entourée dans sa prière par un moine pèlerin et par une fillette. Détail piquant. Celle-ci a détourné son visage et semble attirée par un évènement se déroulant dans l’église.
Le décor de ces différentes versions est sensiblement le même. On aperçoit entre des colonnes antiques la vaste abside d’un chœur d’église aux murs ornés de mosaïques et de peintures murales, tandis qu’au milieu de ce cœur se dresse un ciborium en marbre.
On notera que Maes-Canini a exposé une Jeune Romaine en prière au Salon de Bruxelles de 1833 et qu’il existe une copie du tableau Jeune Romaine en prière au bouquet de fleurs, erronément signée Jean Portaels (Vilvorde 1818 - Bruxelles 1895), au Musée des Beaux-Arts de Charleroi ( inv. 574). Cette copie est une preuve supplémentaire du succès du tableau de Maes-Canini.
Ce tableau étudié ici est plus ambitieux que les autres versions connues du sujet. Il est un bel exemple de la peinture de Jean-Baptiste-Louis Maes-Canini. Avec Navez, Van Bree et Louis Ricquier (1792-1884), il est l’un des principaux représentants belges de la scène de genre à l’italienne du second quart du xixe siècle, traitée sur un mode romantique, à la fois sentimental, poétique et idéaliste typique des écoles du Nord, auquel appartiennent également le Russe Karl Bryulov (1799-1852), mort à Rome, les Danois Ernst Meyer (1797-1861) mort à Rome, Albert Küchler (1803-1886), le Tchèque Leopold Pollak (1806- 1880) mort à Rome, ou encore les Allemands August Riedel (1799 - 1883) mort à Rome, Adolf Henning (1809-1900), Johann Heinrich Richter (1803-1845), et Theodor Leopold Weller (1802-1880).
Alain Jacobs, 2024.
Nous souhaitons remercier Monsieur Alain Jacobs pour la rédaction de cette notice et son aide quant à l’identification de cette œuvre.
Illustrations :
Fig. 2 J.-B.-L. Maes-Canini, Le bon Samaritain, Rome 1825, huile sur toile, 251 w 200 cm, Amsterdam, Rijksmuseum, inv. SK-A-1078.
Fig. 3 J.-B.-L. Maes-Canini, Portrait d’une jeune ita- lienne, Rome 1828, 47 x 37 cm, Gand, Bijlokemuseum, inv. A65.02.029.
Fig. 4. J.B.L. Maes-Canini, Jeune italienne à la lampe à huile, 1835, huile sur toile. Localisation actuelle inconnue.
Fig. 5. J.B.L. Maes-Canini, Jeune italienne se préparant pour la carnaval, 1838, huile sur toile, localisation actuelle inconnue.
fig. 6. J.B.L. Maes-Canini, Jeune Italienne à sa toilette, 1839, huile sur toile, 99 x 74,5 cm. Localisation actuelle inconnue.
fig. 7. J.B.L. Maes-Canini, Jeune Italienne se préparant pour la carnaval, 1854, huile sur toile, 74,6 x 99 cm. Localisation actuelle inconnue.
Fig. 8. J.B.L. Maes-Canini, Jeune italienne se préparant pour la carnaval, 1855, huile sur toile, 100x200cm. Localisation actuelle inconnue.
fig. 9. J.B.L. Maes-Canini, Jeune Italienne pirant, 1845, huile sur toile, 30 x 23,8 cm. Localisation actuelle inconnue.
Fig. 10. J.B.L. Maes-Canini, Jeune Italienne en prière, tenant un enfant, 1837, huile sur toile, 99 x 74 cm. Berlin, Museum Berggruen, Alte und Neue Nationalgalerie
fig. 11. J.B.L. Maes-Canini, Jeune Italienne en prière, tenant un enfant malade, 1845, huile sur toile, 30 x 23,8 cm. Localisation actuelle inconnue.
fig. 12. J.B.L. Maes-Canini, Jeune Italienne pirant, s.d. (?), huile sur toile, 90 x 72 cm. Localisation actuelle inconnue.
fig. 13. J.B.L. Maes-Canini, Jeune Italienne pirant, s.d., huile sur toile, 79 x 64 cm. Localisation actuelle inconnue.
Références :
[1] Sur J.B.L. Maes-Canini, on se reportera en priorité à L. De Bast,
[2] Annales du Salon de Gand et de l’école moderne des Pays-Bas, Gand, chez P.F. De Goesin-Verhaeghe, 1823, p. 135-136 ; D. Coekelberghs, Les peintres belges à Rome de 1700 à 1830, Bruxelles-Rome, Institut historique belge de Rome, III, 1976, p. 404-406, et à A. Jacobs & P. Loze, in cat. expo. 1770-1830. Autour du Néoclassicisme en Belgique, Ixelles, Musée Communal, 1985/86, p. 243-245 &433.
Il s’agit de La Sainte Famille avec sainte Anne et saint Joachim, 1827, huile sur toile, 285 x 215 cm, Gand, église Saint-Michel.
[3] Amsterdam, Rijksmuseum, inv. RP-D-2017-888.
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