
















L'Annonciation
Attribué à Louis I DE BOULLOGNE
(Nantes, 1606 - Paris, 1689)
L’Annonciation
Vers 1640-1645.
Huile sur cuivre
L : 77,5 ; H : 59 cm
Cette scène d’Annonciation représente la Vierge Marie surprise lors de sa prière par l’arrivée de l’ange Gabriel portant une branche de lys, attribut de cette dernière, et drapé d'un tissu aux reflets dorés. Les deux personnages sont figés dans un geste dynamique. La Vierge esquisse un mouvement de surprise tandis que l’archange s’avance vers elle et que sa chevelure prise dans une bourrasque se mêle à son manteau. Marie, vêtue de rouge et de noir, adopte une posture humble et sereine. L'espace est structuré avec des éléments architecturaux classiques en arrière-plan et la présence de putti et du Saint Esprit qui accentuent l’aspect sacré de la scène.
L’œuvre est un véritable jalon dans l’histoire de l’art car elle se situe au centre d’un nœud d’influences représentatif des prémices de l’existence de l’Académie de France à Rome, fondée en 1666.
Notre cuivre est très certainement une des premières œuvres exécutées par Louis de Boullogne à Paris après son retour d’Italie. Elle est à la fois le témoin de son apprentissage en Italie et une œuvre qui s’inscrit dans le corpus de création de l’artiste.
La touche générale, et plus particulièrement la manière vibrante des drapés du costume de la Vierge, s’admirent également dans un Céphale et Proscris peint sur panneau et rendu récemment à l’artiste. Le panneau, dont l’exécution s’apparente à celle d’un cuivre, permet de mieux saisir la manière de Boullogne sur ce type de médium et non pas seulement sur toile.
La physionomie des personnages de l’Annonciation, plus particulièrement certains faciès très caractéristiques, se retrouvent également dans d’autres œuvres de Boullogne. Ainsi, le visage peu commun de la Vierge trouve écho dans celui de la femme de droite du Tobie rendant la vue à son père de Boullogne conservé au musée des Beaux-Arts de Bordeaux.
Quant aux chérubins ailés, aux grands fronts et aux traits ramassés sur le bas du visage, ils demeurent un motif récurrent dans toute la carrière de l’artiste. Ils peuvent s’observer ainsi dans sa Déploration à l’encre et sa Charité du musée du Louvre, quoique le chérubin de la Charité du musée de Poitiers en soit un exemple encore plus parlant.
Enfin, il existe un dessin préparatoire de tête de femme dont les mouvements du voile et des traits du visages sont en tout point semblables à celui de notre Vierge. Sur la même feuille, plusieurs têtes de très jeunes enfants sont également crayonnées. Deux d’entre elles ont notamment servi au peintre comme modèles préparatoires pour les enfants entourant sa Charité chrétienne.
Parti à Rome en 1634, Louis Boullogne ne revient à Paris qu’à une date indéterminée. Son retour se situe entre 1637, date à laquelle il grave à Rome l’Enlèvement d’Hélène de Guido Reni, et 1641, année durant laquelle il se marie à Paris au mois de février. Il est plus probable qu’il ait quitté Rome en 1640, comme nombre de ses compatriotes peintres. En effet, au printemps 1640, Roland Fréart de Chambray et son frère se rendent à Rome sur ordre de Sublet de Noyers, surintendant des bâtiments du roi Louis XIII, afin de faire venir en France plusieurs artistes résidant à Rome, en particulier Nicolas Poussin.
Par ses nombreuses influences et hommages picturaux, L’Annonciation de Louis de Boullogne, qu’il exécute peu de temps après son retour en France, permet de retracer son parcours artistique en Italie. En effet, outre Rome, Boullogne s’est également rendu à Venise, probablement pour une visite brève lors de son voyage retour. Témoignage de ce séjour, Boullogne a notamment gravé le Martyre de saint Sébastien de Véronèse. Ainsi, son Annonciation, tant par la composition que le coloris, s’inspire de celle de Titien, conservée en l’église San Salvador de Venise.
Quant aux attitudes des protagonistes, qu’il s’agisse de l’Ange, de la Vierge ou même des chérubins, toutes demeurent des reprises de modèles observés au sein de l’atelier d’Andrea Sacchi à Rome.
Serait-ce sous l’influence du célèbre Poussin, son compatriote fréquentant l’atelier de Sacchi à partir 1631 que Boullogne choisit lui aussi de graviter autour de ce dernier durant son séjour romain ? Il est probable que oui.
Ainsi, visibles dans la partie supérieure d’un dessin à la plume de Sacchi représentant la Mort de la Vierge, deux chérubins savamment entremêlés sont également présents dans l’Annonciation. Il s’approprie, en inversant la figure, d’un Tobie et l’ange qui est probablement le fait d’un élève de l’atelier de Sacchi. Ce dernier avait lui-même réutilisé et enrichi un motif secondaire de son maître, une statuette d’ange visible dans son Allégorie de Rome exécutée dans la décennie 1620. Aussi, Boullogne s’inspire sans doute de la figure d’une Vierge extraite d’une sanguine préparatoire à une gravure de l’Annonciation, réalisée par le jeune Carlo Maratta, qui intègre l’atelier de Sacchi en 1636. Boullogne réemploie avec une grande exactitude le motif, de l’attitude jusqu’au costume et change la physionomie du visage.
Chose rare pour une œuvre de la première moitié du XVIIe siècle, notre Annonciation est citée dans les archives quelques années seulement après son exécution et peut être rattachée à un commanditaire privé, extérieur à l’aristocratie. Ainsi, elle apparaît dans l’inventaire après décès de Germé Doüay, bourgeois de Paris décédé le 16 juillet 1659.
Nous trouvons une première mention de Germé Doüay dans le contexte de la Guerre de Dix ans en tant que conseiller du Roi et contrôleur extraordinaire des guerres dans l’armée de Valteline entre 1634 et 1635[2]. Il s’installe alors en Suisse, à Soleure, devenant commis du trésorier des Ligues, Claude du Ryer, qui exerce cette charge depuis janvier 1637[3].
À l’issue de l’année 1642, qui voit la mort de Claude du Ryer[4], il n’est plus fait mention de Germé Doüay en Suisse. Il est ainsi probable qu’il ait regagné Paris à cette époque.
Germé Doüay devient bourgeois de Paris et rencontre Geneviève de Boullogne, jeune veuve et sœur du peintre Louis de Boullogne. Sans jamais se marier, tous deux forment rapidement un couple et habitent au troisième étage d’une maison place de la Grève. À la mort de Germé, le 16 juillet 1659, Geneviève est nommée légataire universelle mobilière de ce dernier et reçoit en leg une rente viagère de 400 livres[5]. Cette somme, importante pour l’époque, témoigne de l’aisance financière de Doüay. Par sa fortune et en sa qualité de « beau-frère » de l’artiste, Doüay a très certainement commandé plusieurs tableaux à Louis de Boullogne.
Son inventaire après-décès liste une série de tableaux :
« Les treizes cantons despeints en portraicts de femmes, quatres copie[s] des quatre saisons de l’année, le plan de la ville de Soleure, un petit Jésus dans un paisage, le portrait du pape Innocent dixie[sm]e sans son chassis, le portrait de Mr de Mauroy, deux petits tableaux peint[s] sur cuivre, garnis de sa bordure de bois noir, en l’un est représenté une Annonciation & en l’autre, une Assomption, les portraits du Roy Louis treizie[sm]e & de Mons[sieur], deux portraits d’une mesme personne en religieuse & séculière… »
La paternité des œuvres ne figurant pas sur l’inventaire, certaines ont pu être peintes par Boullogne. C’est très probablement le cas de notre tableau et de son pendant décrits dans l’inventaire comme des « tableaux peint[s] sur cuivre, garnis de sa bordure de bois noir, en l’un est représenté une Annonciation & en l’autre, une Assomption ».
[1] Simonetta Proesperi Valenti Rodino, Drawings by Carlo Maratti in the collection of the Kunstakademie Düsseldorf at the Kunstpalast, Michael Imhof Verlag, Petersberg, 2024, cat. 371.
[2] Édouard Rott, Inventaire sommaire des documents relatifs à l’histoire de Suisse, Vème partie, Berne, Imprimerie S. Collin, 1894, p. 81.
[3] Édouard Rott, Inventaire sommaire des documents relatifs à l’histoire de Suisse, IVème partie, Berne, Imprimerie S. Collin, 1891, p. 763
[4] Idem, p. 613.
[5] « Les peintres parisiens Bon, Jean et Louis Boullongne étaient-ils d’origine arrageoise, picarde ou beauvaisin » dans Bulletin de la société historique de Compiègne, T. XXIII., Chauny, A. Baticle, 1948, p. 128.
Illustrations :
Louis de Boullogne ; détail de Céphale et Proscris ; huile sur panneau ; Caen, musée des Beaux-Arts
Louis de Boullogne ; détail de Tobie rendant la vue à son père ; huile sur toile ; Bordeaux, musée des Beaux-Arts
Louis de Boullogne ; détail de La Déploration du Christ ; encre et plume sur papier ; Paris, musée du Louvre
Louis de Boullogne; Études de têtes ; craie blanche et noire sur papier ; collection particulière.
Louis de Boullogne ; détail de La Charité chrétienne ; huile sur toile ; vente Tajan, 18 décembre 2019
Titien (1490-1576), l’Annonciation, huile sur toile, vers 1535, 166x266cm, Scuola Grande di San Rocco (Venise).